21 Novembre 2018
I) Les fibres courtes d’amiante sont-elles toxiques ?
Production de connaissances scientifiques et maladies professionnelles
Article d'Annie Thébaud-Mony
Paru dans la revue Sciences sociales et Santé
(juin 2010, vol 28, n°2 )
© Ban Asbestos France / Association Henri Pézerat
Les fibres courtes d’amiante sont-elles toxiques ? Production de connaissances scientifiques et maladies professionnelles
II ) Pollution de l'environnement par l'amiante
Une étude d'Henri Pézerat
(juin 2006)
© Ban Asbestos France / Association Henri Pézerat
Mésothéliomes et plaques pleurales
Il est maintenant totalement admis qu'il existe une relation entre la pollution de l'environnement par l'amiante et l'apparition d'un excès de mésothéliomes et de plaques pleurales dans les populations concernées. Il doit exister également un excès en cancers du poumon mais plus difficile à mettre en évidence en raison des multiples autres expositions générant cette pathologie. Aussi les études se focalisent-elles essentiellement sur les mésothéliomes comme témoins des effets toxiques de l'amiante, même pour de faibles niveaux d'exposition .
Nous emprunterons à Messieurs Pinto et Soffritti ainsi qu'au professeur Maltoni, mondialement connu pour ses travaux sur la cancérogenèse, une réflexion préalable sur l'origine des mésothéliomes (1) : " Puisque le mésothéliome est rare, et en raison de la relation causale entre amiante et mésothéliome, ce type de cancer a été considéré comme un événement pathologique " sentinelle " témoignant de l'exposition à l'amiante. Il y a cependant une fraction des cas de mésothéliomes dans lesquels l'exposition à l'amiante n'a pas été mise en évidence. Pour ces cas, il existe une tendance à considérer -chez beaucoup- qu'il s'agit d'une origine spontanée. C'est une erreur car une origine non prouvée (inconnue) n'est pas synonyme d'une origine spontanée. En fait des causes réelles peuvent rester inconnues si elles ne sont pas recherchées avec diligence, spécifiquement et systématiquement ".
L'expérience vécue par les associations prouve effectivement que tout est dans la qualité de l'enquête. Bien que nous ayons eu à connaître maintenant plus d'une centaine de cas de mésothéliome, il n'y a aucun cas où il n'existe au minimum une forte suspicion d'exposition à l'amiante.
Dans la très grande majorité des cas l'exposition a été professionnelle ou para professionnelles (par exemple pour les épouses des travailleurs exposés), et dans une faible minorité elle relève de l'environnement. Dans ce dernier cas il est exact que parfois on reste surpris du niveau faible et du temps relativement court de l'exposition.
Certes il est des publications où des médecins -très mal informés des conditions de travail en milieu industriel- vont jusqu'à annoncer 20 à 30% de causes inconnues, mais, dans les études parues (2), la proportion de cas où la causalité amiante est établie va jusqu'à 95% et même 99% des cas, lorsque par exemple la recherche va jusqu'à l'examen en microscopie électronique des pièces biologiques prélevées en milieu pulmonaire.
Données sur les mésothéliomes dus aux pollutions de l'environnement :
Dès la première enquête conséquente sur les mésothéliomes, en 1960, par Wagner, il apparaissait que 13 des 33 victimes n'étaient pas exposées professionnellement (3, 4). A partir des mêmes populations, trois ans plus tard, Wagner rapportait plus de 120 cas de mésothéliomes, plus de la moitié n'ayant jamais travaillé à la mine d'amiante, et étant victimes de la pollution de l'environnement (3). Wagner fit également remarquer dès cette époque qu'il n'y avait pas de corrélation entre l'atteinte par fibrose pulmonaire (asbestose), directement fonction de l'exposition cumulée à l'amiante, et l'atteinte par mésothéliome. En d'autres termes le mésothéliome pouvait apparaître même après de faibles expositions.
Depuis ces dates, de très nombreuses études ont confirmé que des doses faibles à moyennes, reçues en milieu environnemental suffisaient à induire des mésothéliomes. Ce fut le cas de l'étude de Magnani et al., en 1993 (5), concernant les cas de mésothéliomes recensés pendant 10 ans dans une petite ville (Casale) et ses faubourgs en Italie du Nord. La ville avait dans le passé abrité une usine d'amiante ciment. Presque 2/3 des 93 victimes de mésothéliomes n'avaient été exposées que dans l'environnement de l'usine et trois des victimes étaient mariées à des ouvriers de l'usine. Une étude évalue à 1 km le rayon de la zone la plus contaminée autour de l'usine.
Ces études rejoignent celle de Bohlig et Hain présentée en 1972 lors d'une conférence tenue au Centre international de recherche sur le cancer (6). Les auteurs produisaient en particulier une carte de Hambourg localisant les résidences de 38 personnes atteintes de mésothéliome, sans exposition professionnelle, dans un rayon d'environ 1,5 km autour d'une usine travaillant l'amiante.
Enfin le rapport de l'INSERM de 1997 consacré aux effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante, inclut un chapitre intitulé " Expositions environnementales d'origine industrielle " (7). On y retrouve les exemples ci-dessus évoqués ainsi qu'un certain nombre d'études " indiquant de façon claire, la possibilité d'un risque de cancer, notamment de mésothéliome pleural, associé à une exposition de voisinage à proximité d'une source industrielle d'amiante ".
Très récemment a été annoncée la publication prochaine d'une étude menée par une équipe américaine (8) mettant en évidence une association entre le fait de vivre près d'une source naturelle d'amiante et le risque de développer un mésothéliome Les chercheurs ont comparé les données de 2908 cas de mésothéliomes déclarés entre 1988 et 1997 avec les cartes géologiques du Nord et du centre de la Californie, permettant de recenser les affleurements de roches pouvant contenir de l'amiante. Ils ont ainsi découvert que la probabilité de développer un mésothéliome est directement proportionnelle à la distance entre son lieu de résidence et la plus proche source d'amiante naturelle.
On doit y ajouter les travaux de Rey et al. (9), concernant la pollution par l'amiante de la Corse du Nord-Est (indépendamment de la mine de Canari), provenant d'affleurements de roches amiantifères. Le taux de mésothéliomes dans cette zone est nettement supérieur à la moyenne nationale (voir sur le même site Internet l'étude consacrée à la situation en Haute-Corse). .Même scénario pour l'excès de mésothéliome en Nouvelle Calédonie.
Enfin on peut maintenant ajouter le cas du site universitaire de Jussieu où ont été repérés au moins quatre ou cinq cas de mésothéliome sans exposition significative d'ordre professionnel, ainsi qu'une centaine de cas de fibrose, essentiellement pleurale, soit les deux pathologies caractéristiques d'une pollution par l'amiante.
Toutes ces études portant sur des cas de pollution environnementale convergent pour associer à cette pollution des excès de mésothéliomes et, lorsqu'ils ont été étudiés, des excès de plaques pleurales.
Contamination de l'air due au contenu naturel des sols en amiante :
Indépendamment des zones en Californie, évoquées ci-dessus, un certain nombre de régions ont été repérées avec un excès significatif de pathologies asbestosiques en relation avec la contamination des sols, en Afghanistan, à Chypre, en Corse, en Nouvelle Calédonie, en Grèce, dans le Piémont et la Basilicata (Italie), dans deux régions de Turquie, dans une région en Chine et une en Bulgarie. Dans les régions citées ci-dessus, les victimes sont essentiellement des paysans.
Les deux régions qui semblent le plus lourdement touchées sont situées en Chine où la contamination est due à la présence de crocidolite, et en Turquie avec des contaminations par la trémolite et l'érionite (une zéolithe fibreuse n'appartenant pas à la famille des amiantes). En certaines localités de Turquie et de Nouvelle Calédonie, à la contamination par les sols, fonction du vent et des travaux, s'ajoute une contamination due à l'utilisation de certains de ces minéraux dans des badigeons appliqués sur des murs, à l'intérieur et à l'extérieur des habitations.
Contamination de l'air due au voisinage de sites d'extraction d'amiante ou de roches contenant de l'amiante :
Diverses publications peuvent être citées relatives à des sites miniers ou des carrières en Australie, au Québec, aux USA, en Finlande, en Corse, au Japon, en Grèce, en Sicile, à Chypre, en Afrique du Sud et en Russie.
Concernant la Corse, indépendamment de la pollution due à la contamination des sols dans le Nord-Est de l'île, on est toujours en attente d'une étude portant sur le site minier de Canari, avec recensement des victimes du milieu de travail et de l'environnement.
Contamination de l'air due au voisinage d'une industrie transformant ou utilisant l'amiante, ou au voisinage d'un chantier naval :
Des études mettant en cause le voisinage d'industries transformant l'amiante ont été publiées sur huit pays (Allemagne, Danemark, Croatie, Taïwan, USA, Italie, Iran, Grande-Bretagne). La France brille par son absence d'études, bien que l'existence de victimes environnementales dans la région de Condé sur Noireau, berceau de l'industrie de l'amiante, soit bien connue.
Des enquêtes au voisinage de chantiers naval ont eu lieu dans cinq pays (Allemagne, Italie, Japon, Pays-Bas et Ecosse). Rien en France où pourtant le nombre de victimes professionnelles dans les chantiers navals est considérable.
Contamination de l'air par " l'amiante en place " dans certains immeubles :
Il faut citer la publication d'Anderson (10) portant sur 487 cas de mésothéliomes recensés entre 1959 et 1989 dans l'Etat du Wisconsin (USA). L'étude de l'ensemble des cas fait apparaître 10 cas parmi du personnel de maintenance d'écoles floquées à l'amiante, et 9 cas d'enseignants dans le même type d'école, sans autres expositions connues à l'amiante pour ces deux groupes. Même si pour l'instant il n'y a pas de publication dans une grande revue scientifique il faut cependant -dans ce cadre- citer également le problème du Centre Universitaire Jussieu à Paris, déjà abordé ci-dessus.
Données sur les niveaux de pollution de type familial ou environnemental :
Il y a peu d'études sur ces pollutions, si l'on excepte les pollutions dans ou au voisinage des immeubles floqués à l'amiante. Nicholson a cependant mesuré le niveau de pollution de certains logements occupés par des travailleurs de l'amiante, ainsi que le niveau de pollution au voisinage d'entreprises.
Les valeurs obtenues sont données dans l'article de Sébastien et al. de 1976 (11). Les auteurs y fournissent également le résultat de leurs propres mesures au voisinage d'une usine d'amiante, et, dans un autre article (12), ils précisent qu'ils ont en particulier fait des mesures au voisinage d'une usine de Normandie. Les valeurs données en (11) sont fournies en nanogrammes par mètre cube d'air. Il est admis (dans ces domaines de concentration) que 2 nanogrammes par m3 d'air (2ng/m3) sont équivalents à une fibre (de longueur supérieure à 5 microns) par litre d'air, ce qui nous donne :
- au voisinage d'une usine d'amiante :
selon Nicholson : 0,005 à 2,5 fibres par millilitre d'air,selon Sébastien : 0,5 à 1,5 fibres par millilitre.
à comparer à la valeur maxima admise actuellement en milieu industriel, soit 0,1 fibre par millilitre.
- au domicile des ouvriers de l'amiante :
de 0,005 à 2,5 fibres par millilitre.
Il est évident que la fourchette de résultats est très large, selon la direction du vent, le jour de la mesure, la proximité de l'usine, les conditions de logement, le degré de pollution des vêtements, etc..
Nous devons signaler également un rapport d'étude daté du 9 février 1978 et rapportant le résultat de numération de fibres d'amiante dans l'air au voisinage de trois usines aux environs de Condé-sur-Noireau en Normandie, rapport signé par Messieurs Lefèvre et Le Bouffant du Centre d'études et de recherches des charbonnages de France (13). Les résultats à prendre en compte sont ceux provenant d'un examen en microscopie électronique. Au lieu dit " La Varende " à environ 300-400 mètres de l'usine de Condé, le nombre de fibres observées au microscope électronique, de longueur supérieure à 5 microns, varie entre 0,5 fibre par millilitre à environ 1,3 fibres par millilitre si l'on considère avec les auteurs que les " faisceaux " contiennent une dizaine de fibres. Quant aux fibres plus courtes (inférieures à une longueur de 5 microns), au même lieu, elles varient en concentration, de 0,6 fibres à plus de 2 fibres par millilitre. Et ce sont ces fibres courtes qui, après inhalation, se retrouvent le plus rapidement dans le tissu pleural.
Il s'agit là de niveaux de pollution largement suffisant pour générer des mésothéliomes.
Pollution et charge pulmonaire en amiante :
En milieu urbain en Europe, la concentration de fibres d'amiante dans l'air, de plus de 5 microns de longueur est de l'ordre de 100 fibres par m3 ou moins, soit 0,0001 fibre par millilitre d'air ou 0,1 fibre par litre (14).
Une telle pollution urbaine peut sembler faible ; elle n'est cependant pas négligeable d'autant que seules sont comptées les grandes fibres, et que les fibres, en milieu pulmonaire -surtout les fibres de chrysotile qui constituent l'essentiel de la pollution- vont se cliver parallèlement à leur longueur pour donner un nombre considérablement plus important de fibres de plus petit diamètre. Il faut savoir en effet que les fibres de chrysotile sont des " fagots " de fibrilles élémentaires parallèles les unes aux autres et faiblement liées entre elles Ces fibrilles élémentaires ont un diamètre de 25 nm (nanomètre soit un milliardième de mètre). On est alors dans le domaine des nanoparticules, objet actuellement de nombreuses discussions tant pour leurs propriétés technologiques que pour les risques qu'ils peuvent entraîner.
Une telle finesse du diamètre des fibrilles a pour conséquence qu'un seul gramme de chrysotile (soit sans doute 98% de l'amiante polluant le milieu urbain) est capable de libérer 100.000 milliards de fibrilles élémentaires ! D'où, depuis les années 70 la constatation que " des fibres d'amiante peuvent être trouvées dans les poumons de presque toutes les personnes ", selon le bilan en l'an 2000 de la Société Européenne de Pneumologie (15) ; On peut même dire de tout adulte en milieu urbain Et les quantités trouvées sont très loin d'être négligeables.
Aujourd'hui aux USA par exemple il est admis, en population non exposée ni professionnellement ni dans une zone à pollution environnementale spécifique, que le nombre moyen de fibres d'amiante, toutes longueurs, dans un gramme de poumon sec, est de l'ordre de 400.000 à 500.000 (16). En Europe (15) la limite supérieure des valeurs trouvées pour la charge pulmonaire des personnes vivant en milieu urbain non spécialement exposé, varie selon les études, de 4 millions à 17 millions de fibres par gramme de tissu pulmonaire sec !
Dans la plèvre, saine, les concentrations trouvées sont du même ordre de grandeur. En cas de mésothéliome, les valeurs trouvées varient selon les auteurs et selon les victimes. Récemment une équipe américaine (16) avançait une moyenne de l'ordre de 50 millions de fibres par gramme de tissu sec (plèvre et poumons), les victimes n'ayant en milieu pleural que du chrysotile constituant le groupe le plus nombreux, et ceci malgré le fait que le chrysotile est plus aisément épurée des milieux pulmonaire et pleural que les amphiboles
Bibliographie :
(1) Pinto, Soffritti and Maltoni, Med Lav. 1995, 86, 5 : 484-489.
(2) Pezerat, Arch. Mal. Prof.. 1995, 56, 5, 374-384.
(3) Selikoff and Lee, In : "Asbestos and Disease. Academic Press". 1978, pp. 30, 173, 222-223, 288, 293.
(4) Wagner, Sleggs and Marchand, Brit . J.. Ind. Med, 1960, 17, 260-270.
(5) Magnani et al., Eur. Respir. Rev. 1993, 3, 11, 105-107.
(6) Bohlig and Hain, In : "Biological Effects of Asbestos". IARC Scient. Publ. n°8, 1973, 217-221.
(7) INSERM, Rapport : " Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante ". 1997, pp. 130-140.
(8) http://www.eurekalert.org/pub_releases/2005-07/uocd-noa071205.php
(9) Rey et al., Rev. Mal. Resp. 1993, 10, 339-345.
(10) Anderson et al., Environ. Res. 1992, 59, 159-166.
(11) Sébastien et al., Rev. Fr. Mal. Resp. 1976, Sup 2, t 4, 51-62.
(12) Sébastien et al., Annals N. Y. Acad. Sciences. 1979, 330, 401-415.
(13) Le Bouffant, Lefevre, Rapport CERCHAR. 1976, PNO-JPH /AMC, 17p..
(14) Schneider et al., Scand J Work Environ Health. 1996, 22 : 274-84.
(15) European Respiratory Society, Rapport groupe de travail. In : DMT, INRS, 2000, 81, 3-19.
(16) Suzuki., Yuen and Ashley. 2006. E-mail : yasunosuke.suzuki@mssm.edu
III ) Analyse d'articles scientifiques relatifs aux risques liés à l'ingestion d'amiante, notamment via l'eau (conduites d'eau en amiante ciment)
Note d'appui scientifique et technique
de l'Agence nationales de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES)
(novembre 2017)
Avec mes remerciements à Monsieur Henri Lecoeuvre
Note d'appui scientifique et technique de l'ANSES, novembre 2017